La langue se rapporte aux phénomènes sociaux et ne se conçoit pas en dehors de la société. Toutefois, la langue possède ses traits particuliers et ce sont précisément ces derniers qui importent pour la linguistique.
II ne faut pourtant point conclure que le rapport réel existant entre la langue, en tant que système, et l'histoire d'un peuple soit toujours direct et immédiat. L'histoire du peuple crée les conditions nécessaires des modifications qui se produisent dans la langue, elle sert de stimulant au développement de sa structure. Quant aux changements linguistiques eux-mêmes, ils se réalisent d'après les lois propres à la langue qui dépendent de sa structure concrète.
Il est pourtant un domaine de la langue dont le lien avec l'histoire du peuple est particulièrement étroit et manifeste. C'est le vocabulaire qui représente un système ouvert à l'opposé des phénomènes d'ordre phonétique et grammatical. Les grands bouleversements produits au sein d'une société se répercutent immédiatement sur le vocabulaire en y apportant souvent des changements importants. Tel fut le cas de la Révolution française du XVIIIe siècle qui, d'une part, fit tomber dans l'oubli des mots ayant trait à l'ancien régime (bailli, sénéchal, sénéchaussée, taille, dîme etc.), et qui, d'autre part, donna naissance à une foule de mots et de sens nouveaux (démocratiser, nationaliser, anarchiste, propagandiste, centralisation, nationalisation, etc.).
Mais ce n'est pas seulement aux époques de grands événements que le vocabulaire réagit aux changements sociaux. À la suite de l'élargissement des contacts entre les pays on fait des emprunts aux autres langues. C'est ainsi qu'ont pris racine en français les mots soldat, balcon, banqueroute empruntés à l'italien, hâbler, cigare, pris à l'espagnol, rail, meeting, tennis venus de l'anglais, etc., dont beaucoup ne se distinguent plus des vocables de souche française.
La langue tire constamment parti de ses propres ressources. Les transformations lentes ou rapides à l'intérieur de la société ont pour résultat la création de vocables nouveaux à l'aide de moyens fournis par la langue même. Ainsi sont apparues et entrées dans l'usage les formations nouvelles normalisation, scolarisation, pelliculage, électrifier, mondialiser, électroménager, essuie-glace, tout-terrain, kilotonne, téléspectateur, pasteurisation, ionisation, brise-glace, sans-fil, aéroport, télévision.
Le vocabulaire peut enfin se renouveler sans que la forme des mots change; ce sont alors leurs acceptions qui se modifient ou qui se multiplient : bâtiment ne signifie pas l' « action de bâtir » comme autrefois, mais ce qu'on a bâti, maison ou navire ; une feuille n'est pas seulement « une partie des végétaux », mais aussi « un morceau de papier rectangulaire », et plus récemment « plaque mince (d’une matière quelconque)».
Ainsi, les principales sources de l'enrichissement du vocabulaire à l'examen desquelles nous allons procéder sont : l'évolution sémantique des vocables (mots et locutions), la formation de vocables nouveaux, les emprunts.
1b). Evolution sémantique et son rôle dans l'enrichissement du vocabulaire. La science qui traite de la structure sémantique des unités lexicales de même que de l'évolution de cette structure est appelée sémantique.
L'évolution sémantique des mots est une source interne féconde de l'enrichissement du vocabulaire. Il serait encombrant pour la langue d'avoir un vocable nouveau pour chaque notion nouvellement surgie.
Un mot peut modifier son sens à la suite du changement que subit la notion rendue par ce mot. P. ex. Monter dans sa voiture, ce n'est plus s'asseoir sur le siège de son cabriolet et saisir les rênes du cheval, mais s’installer au volant et se préparer à appuyer sur le démarreur». Au XIXe siècle la lampe était « un récipient renfermant un liquide (huile, pétrole, etc.) susceptible de donner de la lumière en brûlant. Aujourd'hui ce ne sont plus les lampes à pétrole, mais les lampes électriques, à néon ou à vapeur de mercure qui nous éclairent. Un fer à repasser est de nos jours le plus souvent en matière plastique à base de nickel.
Très souvent l'évolution sémantique d'un mot est le résultat de dénomination d'un objet (ou d'un phénomène) nouveau au moyen d’un vocable désignant un autre objet auquel cet objet nouveau s'associe quelque rapport. C'est ainsi que le mot bras dont le premier sens «un membre supérieur de l’homme» est arrivé à désigner «un accotoir», et à «une partie mobile d’un appareil ou d’un mécanisme». II en est de même pour les mots homme, tête, , bec, maigre, méchant, ruminer, broncher, nez et autres.
L'évolution sémantique peut enfin aboutir à l'apparition d'homonymes dits sémantiques et qui sont des mots remontant à la même origine et, par conséquent, caractérisés par la même forme, mais dont le contenu sémantique est totalement séparé. Tel est le cas de grève «cessation de travail par les ouvriers coalisés» qui est aujourd'hui un homonyme de grève «plage sablonneuse ou caillouteuse». Il en est de même pour tirer «envoyer au loin (une arme de trait, un projectile) au moyen d'une arme» qui se rattache plus à tirer «amener à soi, ou après soi». Table - «meuble posé sur un ou plusieurs pieds» est un homonyme de table - «liste d'ensemble d'informations» (table de multiplication, table des matière). II y a eu aussi rupture sémantique entre réfléchir «penser, méditer» réfléchir «renvoyer dans une direction opposée», par exemple: réfléchir un rayon, une onde.
L'évolution sémantique des mots est une des principales voies de l'enrichissement du vocabulaire. D'où le grand rôle de la sémantique l'importance des études visant à révéler les lois présidant à l'évolution du sens des mots.